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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 16:13

DEPUIS L’AUTOROUTE, à hauteur d’Orange, on le guette dans un mélange d’impatience et de déférence. Mais en cet après-midi printanier, le Mont Ventoux est emmailloté dans les nuages, seules ses premières pentes d’un vert sombre daignent apparaître. «Il est dans le brouillard près d’une centaine de jours par an, confie Bernard, un ancien de Bédoin, l’un des deux gros bourgs en contrebas du colosse du Vaucluse, avec Malaucène. Mais cela change très vite. En quelques minutes, on peut passer d’un grand soleil à une pluie de grêles. Tu verras, c’est surprenant.»

Il est surprenant ce Mont Ventoux. Tiens, d’abord, d’où vient son nom, Lou Mount Ventour en occitan provençal ? Du latin Vintur, «qui se voit de loin» ? «Non, non, pour nous, c’est lié au vent, c’est le mont venteux, recadre Bernard. Tu comprendras quand tu seras en haut.»

Seconde énigme justement : à quelle altitude culmine-t-il ? 1912 mètres ? 1909 mètres ? «Chacun a son chiffre», rigole André en cueillant ses cerises à deux euros le kilo, au pied du versant sud.
Célèbre pour ses paysages lunaires, le Mont Chauve n’a pourtant jamais été aussi chevelu. «Au début du XIXe siècle, il était presque complètement nu, précise Olivier Delaprison, une des nounous du Ventoux à l’Office National des Forêts. A cause du commerce du bois, qui avait commencé au Moyen Age.» Le Ventoux est alors la terre des charbonniers de Saint-Léger, qui font méticuleusement brûler branches et écorces pour gagner une maigre pitance.

Dans les années 1860, villageois et militaires du coin s’unissent pour reboiser le géant de Provence à grand renfort de cèdres de l’Atlas, de chênes verts ou pubescents, de pins d’Autriche et autres mélèzes. Un incroyable patchwork naturel va prendre racine. Un proverbe local dit que l’on passe de «l’Afrique saharienne au Groenland» en se baladant sur le Mont Ventoux. C’est vrai.

En partant de Bédoin, les premiers lacets commencent dans la garrigue, au milieu des oliviers et des vignes qui donnent un honorable Côtes du Ventoux. Le sol est aride et caillouteux, jonché de coquelicots. Dès le hameau de Saint-Estève, après un virage à gauche toute, on amorce l’ascension dans une forêt dense, trompeuse pour le forçat de la route car elle ne lui apporte qu’une ombre négligeable. Mais dès que l’on rentre dans la cédraie de près de huit cent hectares, une apaisante fraîcheur vient happer le marcheur.

Les arbres sont soigneusement étagés sur le dôme, chacun a pris sa hauteur. A partir de 1300 mètres, les parois de calcaire sont le territoire des hêtres et des pins sylvestres. Les feuillages sont moins épais, les troncs usés portent les stigmates des orages. En grimpant à plus de 1550 mètres, nous voilà dans sur le fameux no man’s land de lauzes, ces pierres blanches consciencieusement concassées par le temps. Le mistral, qui sévit plus de 130 jours par an et dépasse parfois allègrement les 200 km/h, règne en maître sur les éboulis sommitaux. «Pas besoin de mesurer. Quand les parois du chalet commencent à bouger, je sais que ça souffle dur», lance Serge, restaurateur du chalet Liotard, aujourd’hui perché dans la grisaille.

Quelques congères héritées de l’hiver servent d’avertissement. Le froid, vif et perçant, oblige à enfiler son chandail. Olivier Delaprison, le garde forestier : «On trouve régulièrement des touristes en état d’hypothermie.» Le climat méditerranéen de Bédoin n’est plus qu’un lointain souvenir. Quinze kilomètres ont suffi à dérouter le pèlerin.

Au sommet, avec un peu de chance et si l’on ne s’envole pas, on aperçoit de rares plantes alpines. Près de l’observatoire et de la chapelle Sainte Croix, La saxifrage de Spitzberg aux fleurs rougeoyantes, le pavot du Groenland dont les pétales jaunes illuminent les pierriers, la linaire des Alpes à la corolle violette rehaussée d’orange en son centre. Labellisé réserve de biosphère par l’Unesco en 1990, le Mont Ventoux offre un écosystème tout à fait unique, réconciliant faune méridionale et nordique, le randonneur se promenant  successivement dans la contrée de la vipère d’Orsini et celle de la chouette de Tengmalm. «Sur le versant Nord, on vient de créer une réserve biologique intégrale, que l’on ne va pas toucher pendant dix ans, ajoute Olivier Delaprison. Les randonneurs pourront la traverser avec le GR 9, et essayer de  voir tous les grands animaux du Ventoux : les chamois, les chevreuils, les mouflons. Et des oiseaux comme l’Aigle royal ou le faucon pèlerin.»

Cette nature luxuriante adoucit le mythe du glacis désertique. Hier, symboles d’un Mont dépecé par les hommes et les éléments, que Roland Barthes, dans Mythologies, traitera de «Dieu du mal auquel il faut sacrifier», les flancs pelés sont lentement colonisés par les pins à crochet, reliques du reboisement solidement amarrées. «Notre objectif principal est maintenant de protéger et de créer des espaces ouverts, explique Olivier Delaprison. On cherche des solutions pastorales pour équilibrer le Ventoux entre les forêts et les milieux aérés, où prospèrent des fleurs et des insectes exceptionnels.»  
 
 
Bien avant que les suiveurs du Tour de France ne l’exaltent, le Mont Ventoux fut surtout le compagnon du peuple provençal, un socle de l’identité régionale. Ainsi parle le poète Pétrarque : «J’ai fait aujourd’hui l’ascension de la plus haute montagne de cette contrée que l’on nomme avec raison le Ventoux, guidé uniquement par le désir de voir la hauteur extraordinaire du lieu. Il y avait plusieurs années que je nourrissais ce projet, car, comme vous le savez, je vis dès mon enfance dans ces parages, grâce au destin qui bouleverse les choses humaines. Cette montagne, que l’on découvre au loin de toutes parts, est presque toujours devant les yeux.» En vérité, l’illustre humaniste italien ne gravit jamais le Ventoux, mais le géant lui servait d’étalon dans sa méditation. «Pendant la descente, chaque fois que je me retournais pour regarder la cime de la montagne, elle me paraissait à peine haute d’une coudée en comparaison de la hauteur de la nature humaine si l’on ne la plongeait dans la fange des souillures terrestres.» C’est peut-être ce qu’a pensé le millier de résistants qui prit le maquis dès 1942 pour opérer depuis les recoins boisés du Ventoux. Ils appartenaient au réseau Combat du Capitaine Alexandre, alias René Char, fils du pays qui aimait écrire ses poèmes en fixant le Mont Chauve.

Refuge pour les uns, baromètre pour les autres. «Le Ventoux protégeait notre ferme familiale du mistral, mais bloquait aussi les courants du Sud, ce qui nous a toujours apporté plus de nuages et de pluie que sur la face nord», dit Eric Caritoux, ancien cycliste professionnel né à Flassan, à quelques encablures de la montagne. Toujours installé dans les parages, celui qu’on surnommait «l’enfant du Ventoux» s’en souvient d’abord comme d’un mont mystérieux, en partie interdit au public par l’armée : «On ne pouvait pas prendre de photos dans certains lieux, des rumeurs racontaient qu’il y avait tout plein de tunnels militaires en dessous, et une activité intense. Il faut savoir que l’on est très proche du plateau d’Albion, qui abritait l’ancien poste de tirs de missiles nucléaires français… On y allait juste ramasser des artichauts sauvages et des champignons.» Son parcours préféré évite d’ailleurs les pentes les plus escarpées. «Le tour du Ventoux, sur une centaine de kilomètres, est une balade sublime»

Elle file par les vertigineuses gorges de la Nesque, au Sud, où l’on se penche du belvédère avec prudence pour contempler le gouffre. Il conduit sur les plus beaux promontoires pour observer la stature du commandeur. Il y a d’abord le Barroux, à l’Ouest, où les petites maisons couleur ocre s’élèvent haut, très haut pour s’exposer au soleil, pour gagner en espace tant la surface sur le piton est rare. Au dessus, fier et rénové, le château du Barroux dresse son donjon et ses tours médiévales peaufinées par Vauban. Il y a ensuite le Brantes, au Nord, pic minuscule aux 65 habitants et aux mille merveilles. Le goudron y est banni, entre les quelques mas, la faïencerie et l’élégante chapelle des Pénitents Blancs, on circule sur d’étroits chemins minéraux parfumés par les lauriers, les roses, les centranthes, les garances et les orchidées. Tout bâti semble une simple pierre dans un immense jardin. Il y a enfin Sault, à l’Est, où du nougat à la liqueur, tout possède un arrière-goût de lavande fine. Là-bas, à près de 900 mètres, les champs se teintent de violet l’été venu, les distilleries s’emballent, et le Ventoux devient un gros santon de roche odorant.           

De retour à Bédoin, à l’altitude de 296 mètres, l’histoire récente nous rattrape. Deux vélos Merckx flambant neuf sont posés contre la fontaine orangée. Au bistro Le Vendran, un serveur se justifie auprès d’un client harnaché: «Je ne vous ai pas mis de glaçons dans le coca, je ne veux pas que vous ayez mal au ventre pendant la montée.» Un gars élancé en cuissard tance des motards allemands : «Not too tired ?» Il ne faut pas se voiler la face. Le géant de Provence est devenu un adversaire auquel on se mesure. Des dizaines de Belges vérifient dérailleur et pédalier, dans une ambiance aux intonations flahutes. «Chez nous, le Ventoux, pfff... c’est un mont légendaire», ose Bart.

Le Ventoux s’est presque dissous dans l’odyssée du Tour de France. On n’a pas échappé à cette implacable fabrique d’épopées. Imprégné, ado, par les récits des tragédies de Jean Calléjac, de Ferdi Kübler, de Tom Simpson ou d’Eddy Merckx, on l’a grimpé un jeudi d’août 2001. Au petit matin, avec deux copains, pour se donner du courage, pour se retrouver bien seul rapidement. 22 kilomètres plus loin, deux heures plus tard, une triple récompense nous attendait. La vue… celle là même que Frédéric Mistral décrivait dans ses Mémoires : «Nous vîmes le soleil surgir, tel qu'un superbe roi de gloire, d'entre les cimes éblouissantes des Alpes couvertes de neige, et l'ombre du Ventoux élargir, prolonger, là -bas dans l'étendue du Comtat Venaissin, par là -bas sur le Rhône et jusqu'au Languedoc, la triangulation de son immense cône.»
Le droit de dire comme le grand écrivain félibre : «Adieu, Ventoux! tu nous fis, ô gueusard, assez suer et essouffler!»
Et l’envie de revenir.

Mathieu Grégoire 

A lire :
Frédéric Mistral, Mes origines, mémoires et récits, Actes Sud, 301 pp., 8,50 euros.
François Pétrarque, L'ascension du Mont Ventoux, Séquences, 46 pp., 5,50 euros.

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