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21 février 2007 3 21 /02 /février /2007 15:08

 LE MARCHE NOIR EN PLEINE LUMIERE

Le vieil homme entre avec aplomb dans le bar bondé d’ultras de Manchester United. Il n’est pas de rouge vêtu, n’a pas de bière à la main, juste un fragile drapeau. Alors que le serveur est complètement dépassé, lui va interrompre le brouhaha ambiant d’un simple signe de la main. Et il entonne, sous le regard hébété des plus jeunes qui enregistrent l’instant sur leur portable, le chant mythique « Every single one of us loves Alex Ferguson ». L’immense tablée explose : le tifo est immédiatement déplié dans le Café Toulouse. Ce soir, la Red Army, section Blackpool, va encore jouer à domicile.

À quelques centaines de mètres, adossé au Mc Donald’s avec une vue imprenable sur le stade Félix Bollaert, Farid se frotte les mains : « ça chante, les Anglais sont dans la place ! On va chasser le client. » Ils sont une vingtaine à traîner dans les parages. Ils se connaissent, la grande majorité vient de la région parisienne. Il est 17 heures, les « pros » du marché noir doivent être là : « Il faut arriver en début d’après-midi. Là, je suis déjà à la bourre », confie Nordine, en débarquant quatre heures avant le match.

Car avant de vendre, le plus cher possible, il faut acheter. Le classique « tu cherches une place ?» est systématiquement accompagné de la question « t’en as une pour nous ?». « Je n’ai pas de billets en arrivant, on négocie sur place », précise Saïd, 21 ans. Pour les grands événements, l’art de la revente s’estime au montant de la commission. « Une place en Delacourt (la tribune du kop lillois pour ce match, NDLR), coûte 17 euros à la base. On l’a entre 40 et 50 euros. Il faut vendre plus cher pour faire du bénéfice. » Vers 18 heures, confiant, Saïd cherche à écouler ce ticket pour 75 euros. Il a pris 230 euros pour investir dans ce match. Il espère une petite marge de 150 euros : « Ce n’est pas un événement de type international, comme les Mondiaux de handball en Allemagne qu’il ne fallait pas rater. »

Vêtu d’un jean et d’un simple survêtement blanc Tacchini, Saïd voyage léger. Il multiplie les allers-retours entre le fast food et la boutique sang et or Emotion Sport. Il s’agit de cibler un client à la fois, de le ramener à l’écart pour marchander. Deux acolytes ont repéré un père de famille. Les discussions vont durer près de 15 minutes sur le parking, entre deux vans. Après une transaction « dépassant la centaine d’euros pour deux places », ils l’accompagneront jusqu’à la porte du stade, « pour ne pas qu’il se perde.»

Un service après-vente en quelque sorte. Saïd mise beaucoup sur l’argument : « J’explique que je suis là pour arranger les gens. Je ne veux pas les « allumer » comme font certains. » Caché derrière une baraque à frites, lieu propice à l’échange, il dépanne un collègue en trouvant un client : « Tu as une Delacourt pour le monsieur ? » L’autre répond un peu gêné : « Mais, si je la fais à 75 euros, je ne peux rien te donner ». Saïd sourit : « C’est pas grave ! » Il sait très bien que le geste sera payé de retour un autre jour. La réputation compte dans un milieu si fermé.

Six euros le sandwich américain. C’est bien le seul prix qui n’évoluera pas de la soirée. La place Delacourt va s’envoler à 100 euros. « C’est comme tout marché économique. Les prix baissent, puis flambent. Il faut acheter et vendre au bon moment », souligne Kamel. « On a trouvé des Anglais bourrés », interrompt Cédric. Les supporters de Manchester isolés sont des acquéreurs de premier choix. « Mais ils sont pénibles, voire dangereux, quand ils ont picolé », déplore Saïd, évoquant un racisme larvé. Il préfère abandonner une transaction sous une pluie de "fuck off ". Un adolescent se réjouit : « J’ai eu un Anglais à 50 euros. Il avait un billet de 100 livres, mais je me suis méfié. » Il est immédiatement réprimandé par un habitué : « Faut prendre les livres, ça vaut plus que l’euro ! ». Depuis 19 heures, les amateurs, une trentaine, se sont rajoutés aux combines.

Un couple vient d’acheter ses tickets sous les yeux d’un vigile « seulement là pour garder le parking. » Le mari tente de faire bonne figure et nuance le trafic : « C’est de l’argent de poche pour eux. Ce n’est pas comme à la Coupe du monde 2006, où j’en ai vu qui se faisaient des milliers d’euros. » Saïd passe une « sale journée » : « Les Anglais sont bien organisés, ils ont des tickets. En plus, on ne peut pas les placer n’importe où ». Dans le métier depuis l’âge de 14 ans, il n’arrivera pas à écouler tous ses billets : « Je vais perdre de l’argent ce soir. Je suis à moins 90 euros sur ma mise de départ. » Il place une dernière Delacourt, à 40 euros seulement.

20 h 45. Avec ses deux acolytes, il retourne à la Xantia prêtée par son père : « Je vends pour m’acheter une voiture en ce moment. » Il ne regardera pas le match : « On va essayer de ramener un ou deux autres vendeurs sur Paris, ça fera moins cher en essence. » Prochain objectif : France/Pays de Galles, samedi. Kamel, lui, attend vivement Roland Garros : « L’an dernier, j’ai acheté 16 places de demi-finales à 350 euros. Je les ai vendus 500 euros chacune. J’ai fait une plus-value de 2400 euros. » Saïd rit, avant de partir : « Il ne fallait pas acheter du Nadal/Federer en début de matinée l’an dernier. La place était à 1000 euros ! Heureusement, ça a baissé… »

Tous seront déjà loin quand la section Blackpool de la Red Army fête la victoire des siens, en s’époumonant : « Every single one of us loves Ryan Giggs. »

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